lundi 10 août 2009

Quart de nuit

Les halos bleus du soir s’accrochaient aux iris et faisaient dévier les pas de ceux qui s’essayaient à marcher sur l’eau.
Sur l’île de sable devaient encore traîner quelques aigrettes somnambules qui gardaient calmement le silence
De mon observatoire je tenais le quart.
Un robe rouge s’agitait et remuait comme une fane mal éteinte.
Je la savais qui me tournait autour sans me regarder.
Je pensais aux autres restés là-bas, je pensais à ceux qui dormaient au fond de leur cabines trempées de langueur et d’attente.
Ceux-là devaient dormir d’un sommeil sale tenant leur têtes au creux de leurs bras lourds. Eux qui s’étaient gravés sous la peau des baumes d’Inde et des vapeurs d’Islande. Je chantai en pensant au calfat mort de chagrin dont me restait un peu de gris au fond des poches. Il nous avait tant protégés des lames et des brisants avant que l’amour idiot ne finisse par le pousser à l’eau.
Je fumais en claquant des dents et rien ne bougeait plus.

Depuis le haut de ce grand mât immobile, j’étais la vigie de notre navire emprisonné.
Troisième nuit à mouiller là sans plus d’espoir d’en sortir. La vermine avaient bien eut raison de notre coque et la mort gagnait un à un chacun des compagnons.
J’avais perdu la peur à mesure que gagnait le désespoir. Nous ne partirions plus et aucun bateau fou, même fin soul, ne viendrait croiser par là.
Sous les crânes de ceux qu’on n’avait pas encore jeté à l’eau, raides et lourds comme plomb, la folie avait doucement creusé son sillon ; et s’ils ne dormaient pas, ils se touchaient les pupilles en espérant avoir la force de les crever.
Toute calme, la mort avait tapissé les cales et les cabines.

C’était le clair et le berçant
Une image de savon dont je ne savais plus le goût
Striait dans mon ventre sec le peu de nuages que ne recouvrait pas la lune

J’aurais pu espérer que la fane se pose sur moi, j’aurai pu vouloir tomber de mon mat pour m’écraser sur le pont, j’aurai pu attendre que tu viennes.
Mais le courant de fond tirait plus fort que le vent dans les voiles.
Enfin
Je ne voyais plus que mes doigts approcher de ma bouche le clope incandescent, je sentait mon nez froid, ma bouche sèche, mes pieds gonflés, mes cheveux salés, mes yeux coulant, débordant.
Car je commençais d’être homme à l’heure de mourir.

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