mardi 31 janvier 2017

Argos, migrant

A la lisière, les milliards d’aiguilles de pin, sol de pin,
Coiffent les dunes en front de mer,
Donnent à l’air son air inspiré.
Midi au clocher
La chaleur terrasse,
Les derniers bains de mer glanés avant le déjeuner.
Rêves d'étreintes blanches sous ma langue de sel,
Moi, l’ogre noir, je dévore la Crète vierge de mes dents d’Aboubakar.

Je n’entre pas dans la pinède éteinte,
Peu importe ce qui m’attend, je lui tourne le dos,
Reste devant la mer à compter les moutons, les compagnons et les marins d’Ulysse.

En chantant, parce qu’on chante toujours, ou bien rires ou bien pleurs.
Chante ! J’ai bien tenu des mois, je tiendrai bon jusqu’à demain.

Que le grand Kraken me croque, je n’étais qu’un marin d’eau douce avant d’être Énée.
Et né en une nuit, accouché à la grand’Mer, sous les plafonds de météores et d’Argos.
J’ai tenu bon, j'ai porté le ciel, accroché la surface,
Aspirant à pleins poumons les étoiles et les puces de ma mère.
Tout a péri, Homère, Diop et Touré.

Assis sur le rocher de miel
Ô terre d’abondance, Melita
Loin, le lait malté des mamelles lourdes de l’Afrique.
Didon, Reine de Libye au chant de sirène, aux seins de crème,
Ne m’a pas attendu au port,
Ni Circée, l’âme noire.
Personne ne m’attend, moi, dernier corps, dernière âme, moi, noir comme un noyé.

Entre lisière et mer morte,
Je laisse derrière moi la forêt de pins,
Pour regarder flotter les moutons noirs 

Cadavres du désastre
Pas de forêt, pas de bois,
Pas d’autres nuits

Pas de noms, pas de chanson,
Pas de tombes, pas de limbes
Pas de beauté, pas de retour, plus de frères, 

La Mer est devenue Reine des Aulnes 
Cueillant les enfants dans leur barque de pin
Je
Suis
Le
Dernier corps de la dernière nuit de la dernière odyssée
J’oscille là sur mon rocher de miel, petit cormoran, soldat inconnu.

Le monde est un naufrage
A la lisière des engloutis.

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